Je m'appelle Hélène.
Hélène Cherrucresco.
Sous mon patronyme se dissimule un collectif de chercheurs en
colère. De ces fous qui ont l'audace d'affirmer qu'une
recherche scientifique de qualité doit se faire sans les
pressions de l'industrie privée. De ces fossiles à
blouse blanche pour qui aucune recherche finalisée à
but lucratif ne peut se substituer à la recherche civile
publique. De ces professeurs Tournesol qui soutiennent que la
recherche publique doit être aussi l'affaire du public Dans
notre monde qui confond science et technologie, profit monétaire
et profit humain, dans ce monde où le mot progrès
peut rimer avec destruction massive, j'ai décidé
de vous écrire.
Vous ? Journalistes de la presse française. De toute la
presse française, du Figaro à l'Humanité,
des journaux de mutuelles aux news magazines, des mensuels culturels
aux journaux économiques. Chaque semaine, patiemment, je
vous enverrai un article. Chaque semaine, régulièrement,
sur un sujet précis portant de près ou de loin sur
la marche de la Science. Des articles étoffés, argumentés,
relus. Pour en faire ce que vous voudrez : les publier, les vérifier,
vous en servir pour vos propres articles, vos enquêtes...
Vous pouvez aussi me contacter à helene.cherrucresco@wanadoo.fr
. Je vous répondrai, et si vous voulez des précisions,
des preuves je vous les donnerai. Je peux aussi participer à
des débats radio ou télé: j'ai assez de "nègres"
capables de s'exprimer sous mon nom pour défendre le service
public de recherche dans de nombreux domaines...
Cette semaine : "Le lobby biotechnologique à l'origine
du projet de démantèlement de la recherche publique".
La semaine prochaine : "Du montant des droits d'inscription
des universités"
Par Hélène Cherrucresco
Est-on certain dans notre république, que nos députés
écrivent en personne les propositions de loi ? Ne sommes-nous
pas au contraire le jouet de lobbies privés ? La question
mérite d'être posée à la lecture du
Figaro du 12 mai dernier. Il révélait l'existence
et présentait les grandes lignes d'un projet de réforme
- jamais rendu public - de la recherche publique française,
rédigé par un mystérieux Conseil Stratégique
de l'Innovation (CSI). Ce projet constitue une attaque, dont la
gravité est sans précédent, contre le système
de recherche publique civile français. N'est-il donc pas
légitime de s'intéresser au mystérieux CSI,
de s'interroger sur sa composition et sa représentativité
?
Il s'est auto-constitué le 24 juin 2002 sur la proposition
de Philippe Pouletty, qui en assure donc très logiquement
la présidence, et qui est par ailleurs le président
de deux associations : France Biotech et Objectif 2010. Créée
en 1997, l'association France Biotech n'est autre que le lobby
biotechnologique français. Aux côtés de France
Biotech, association d'entreprises biotechnologiques, se trouve
Objectif 2010, association d'entrepreneurs (essentiellement en
biotechnologie) assistés de juristes et d'économistes.
La rédaction de projets de loi "clés en main"
est la grande spécialité de cette seconde association.
En effet, elle se vante d'être à l'origine du nouveau
statut d'entreprise SAS (Société par Actions Simplifiée)
voté dans le cadre de la loi sur l'innovation de juillet
1999, du nouveau statut des jeunes entreprises innovantes et d'un
nouveau statut des fondations pour soutenir la recherche médicale.
Le comité constitutif du CSI comprend 15 membres, qui se
sont depuis adjoints une dizaine d'associés. Tous, sans
exception, sont liés soit aux biotechnologies, à
France Biotech ou à Objectif 2010, soit à la création
ou l'amorçage d'entreprises biotechnologiques (voir liste
en annexe), y compris les représentants des organismes
de recherche publique : les directeurs de l'INSERM (médecine),
de l'INRA (agronomie) et du département des Sciences de
la Vie du CNRS, ce dernier étant par ailleurs PDG d'une
start-up en biotechnologie. A l'examen attentif de la liste des
membres du CSI, on peut s'étonner de trouver un entrepreneur-vendeur-de-voiture-par-internet.
En réalité, il suffit de se connecter sur son site
pour être rassuré, puisqu'on s'aperçoit que
ce dernier est hébergé par MedCost, leader français
de l'internet médical. Vous ne regretterez d'ailleurs certainement
pas votre connection sur le site de vente de voitures puisque,
pour peu que votre navigateur accepte les "cookies",
elle ouvre automatiquement une fenêtre connectée
sur doctorissimo.fr, vous proposant les services d'un cyber-doctor
!
Le dossier de presse sur le site web de France Biotech (http://www.france-biotech.org)
est extrêmement instructif quant aux objectifs de ce groupe
de pression. Soulignons par exemple leur position en faveur de
la brevetabilité du vivant, en contradiction totale avec
celle de tous les grands partis politiques français, de
l'UMP au PCF. D'ailleurs, consciente de ce désaccord, France
Biotech publiait en juin 2000 un communiqué de presse,
pour regretter la pétition attaquant la brevetabilité
des gènes lancée par le Professeur Jean-François
Mattei. En revanche, leur proposition suivante a été
reprise, pratiquement au mot près, par Jean-Pierre Raffarin
en juin 2003 : elle préconise la création d'un statut
"d'impatrié", pour attirer en France des chercheurs,
des spécialistes du capital-risque et des introductions
en bourse, permettant à l'impatrié de ne pas être
imposé de façon plus sévère en France
que dans leur pays d'origine. C'est pourquoi on ne peut que redouter
qu'à court terme, le gouvernement reprenne les autres suggestions
de ce groupe de pression : affecter 1% du budget de la CNAM à
des investissements boursiers en faveur de sociétés
de biotechnologies, et réduire l'impôt pour les investisseurs
en biotechnologie (en précisant que les Français
pourraient ainsi, en attendant les fonds de pension, devenir actionnaires
de sociétés innovantes, bénéficier
d'une réduction d'impôt, et espérer des plus-values).
Ce que France Biotech et Objectif 2010 préconisaient, pour
la recherche biomédicale, dans un communiqué de
presse de mai 2002, le CSI le suggère pour l'ensemble de
la recherche en mai 2003. Le seul objectif visé est de
créer et de faire côter en bourse un maximum d'entreprises,
surtout biotechnologiques, en piochant dans le réservoir
immense de la recherche publique.
Or, comme la création d'une start-up biotechnologique repose
sur le dépôt d'un brevet, il est nécessaire
de se doter des outils pour piloter l'activité des chercheurs
et s'approprier leurs résultats : la structure appropriée
imaginée par le CSI et votée par le parlement le
1er aout s'appelle fondation !
En démocratie, la recherche publique n'est-elle pas un
enjeu culturel, social et économique, qui doit profiter
au plus grand nombre, par opposition à l'enjeu spéculatif,
ne profitant qu'à quelques-uns visé par le CSI ?
Voilà comment un lobby privé au service d'intérêts
financiers se substitue à la représentation nationale,
pour s'approprier la recherche publique et la détourner
de sa mission.
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ANNEXE : COMPOSITION DU COMITE CONSTITUTIF DU CSI
Philippe POULETTY Président et fondateur du CSI, président
de France Biotech et d'Objectif 2010. Créateur d'entreprises
: Clonatec (Paris, 1984), SangSat (San Francisco puis Lyon, 1988),
Redcell devenue Conjuchem (Montréal, 1993), DrugAbuse Science
(Etats-Unis et France, 1998). Aujourd'hui Directeur de de la filliale
française de DrugAbuse Science; DrugAbuse Science est membre
de France Biotech. A créé et dirige un fonds d'investissement
pour la promotion des fonds capital-risque (Truffle Venture).
Maryvonne HIANCE Vice-présidente d'Objectif 2010, PDG de
DrugAbuse Science France.
Christian POLICARD Directeur de la valorisation de l'Institut
Pasteur. Membre du board of Directors de DrugAbuse Science. (L'institut
Pasteur est membre correspondant de France Biotech.)
Lionel SEGARG Directeur Général d'Inserm-Transfert
(société anonyme).
Christian BRECHOT Directeur Général de l'INSERM.
Marion GUILLOU Directeur Général de l'INRA.
Bernard PAU Directeur du département "Sciences de
la Vie" du CNRS, et PDG d'Innodia.
Pierre KOPP Professeur de Sciences Economiques. Auteur d'analyses
et d'enquêtes pour le compte d'Objectif 2010.
Jean-Bernard SCHMIDT SOFINNOVA PARTNERS (Membre associé
de France Biotech). European Venture Capital Association.
Cédric BANNEL PDG de CARADISIAC, société
de vente de voitures d'occasion par internet. Lien avec les biotech
? Le site de Caradisiac est réalisé et hébergé
par Medcost, leader français de l'internet médical.
La connection sur le site caradisiac.fr ouvre automatiquement
le site doctorissimo.fr, proposant les services d'un cyber-doctor
!
Francis MAYER Vice-Président de la banque Européenne
d'investissement et président général de
la caisse des dépôts et consignations (CDC).
Albert OLLIVIER Président de CDC-PME, filiale de la caisse
des dépôts et consignation chargée de gérer
le fonds d'amorçage Bioam, dédié à
la création d'entreprises de biotechnologie.
Françoise MONOD Avocate au barreau de Paris, spécialiste
du capital-investissement. Membre du conseil d'administration
de l'association Jean Bernard (fondation pour le soutien de la
recherche sur les maladies du sang). Avocate associée au
cabinet Sokolov, Duneau, Mercadier & Carreras, spécialisé
dans le droit des entreprises et des nouvelles technologies.
François d'AUBERT Député depuis 1978, actuellement
député UMP et proche d'Alain Madelin. Ancien secrétaire
d'Etat à la Recherche (gouvernement Juppé). Ses
positions : contre l'IVG, a voté contre les lois de bioéthique
(92 et 94), a signé la pétition homophobe de Michel
Pinton des maires contre le PACS.
Christian PIERRET Ancien secrétaire d'état à
l'Industrie (gouvernement Jospin). Avocat au barreau de Paris
(Cabinet Auguste & Debouzy). A contribué à la
mise en place de la loi sur l'innovation et au lancement de Bioam,
fonds d'amorçage pour favoriser la création d'entreprises
de biotechnologie. Bioam est financé par le CNRS et l'INSERM.
La gestion du fonds est assurée par CDC PME