OGM - Etat des lieux avant une éventuelle levée du moratoire
05/12/2003 - 18h51 (FR)

Thomas Quéguiner

 

Lundi 8 décembre 2003, les experts du Comité permanent de la chaîne alimentaire de l'Union européenne (UE) se réunissent une nouvelle fois afin d'autoriser ou non, l'importation par les Quinze du maïs doux transgénique BT 11 du semencier suisse Syngenta, ce qui en ferait le premier aliment "tout-OGM" destiné à l'homme en Europe. Tandis qu'une réponse positive entraînerait de facto une levée du moratoire en vigueur depuis 1999, c'est l'occasion, à quelques heures d'un vote qui s'annonce crucial pour l'agriculture européenne, d'éclaircir un peu plus la nébuleuse réglementaire qui encadre la diffusion des organismes génétiquement modifiés (OGM).

Une décision que personne ne veut prendre
La proposition sur le BT 11 de Syngenta soumise lundi 8 décembre au Comité permanent pour les denrées alimentaires, requiert un vote favorable à la majorité qualifiée. Si les Quinze donnent leur accord, ce maïs doux transgénique en boite sera autorisé à l'importation, devenant ainsi le premier aliment "tout-OGM" destiné à l'homme en Europe.
Cependant, la question de la levée du moratoire est extrêmement sensible au sein de l'UE, suivant ainsi une opinion publique majoritairement opposée aux OGM. Le comité pourrait donc choisir de s'abstenir ou de voter contre le dossier.
Faute d'approbation, le dossier BT 11 reviendra aux ministres de l'Agriculture ou de l'Industrie des Quinze. Ces derniers devront alors se prononcer pour ou contre, voire décider de ne rien faire. Le dossier reviendrait alors devant la Commission dont la décision interviendrait au bout de trois mois. Les états-membres, peu pressés d'affronter leur opinion publique, se "déchargeraient" ainsi en quelque sorte de la décision cruciale de levée du moratoire sur la Commission.

Trois règlements communautaires
1) La directive sur la dissémination volontaire des OGM dans l'environnement (2001/18/CE).
Elle remplace depuis 2001 la réglementation 90/220/CEE adoptée en 1990, qui a permis l'homologation de 18 OGM jusqu'à l'instauration en 1999 du moratoire. Le processus d'homologation se fait désormais en trois étapes, fondées sur une évaluation au cas par cas des risques pour la santé humaine, l'environnement et ce, avant toute dissémination dans la nature et mise sur le marché d'OGM ou de produits qui en sont composés. Tout dossier passe ainsi dans un premier temps par une période dite "nationale" où, au sein de chaque état membre, la principale autorité compétente ­ comme la Commission du génie bio-moléculaire (CGB) en France ­, est invitée à émettre un avis. Le dossier passe ensuite dans sa période dite "communautaire", pendant laquelle la Commission européenne et les autorités compétentes des Quinze qui ont fait part de leurs réticences, tentent de trouver un terrain d'entente. Enfin, vient la phase de "consultation de l'AESA", l'Autorité européenne de sécurité des aliments (*), dernier organisme à rendre un avis, avant la décision finale, qui revient à Bruxelles.


2) La directive sur les denrées alimentaires et aliments pour animaux génétiquement modifiés (1829/2003/CE).
En vigueur depuis le 7 novembre dernier, son application n'interviendra cependant qu'après un période transitoire de cinq mois, soit au mois d'avril 2004. Elle remplace la partie concernant les produits génétiquement modifiés adoptée le 27 janvier 1997, dans le cadre de la réglementation sur les nouveaux aliments et ingrédients alimentaires (258/97/CE), mais dont le mécanisme apparaissait relativement compliqué et manquait de transparence. Dans ce cadre alimentaire, 16 OGM peuvent être actuellement commercialisé légalement en Europe. Pour deux d'entre eux, l'autorisation date d'avant 1997 et suit donc la directive 90/220/CE. Ils font partis des 18 OGM légalisés par ce règlement. Les autres, des aliments transformés issus colza oléagineux, de maïs, ainsi que des huiles à base de coton, ont été notifiés comme "substantiellement équivalent" (voir dernier paragraphe.


3) La directive sur la traçabilité et l'étiquetage des OGM et la traçabilité des denrées alimentaires et aliments pour animaux produits à partir d'OGM. (1830/2003/CE).
Ce texte, qui veut ôter les derniers obstacles à une levée éventuelle du moratoire, fixe depuis le 7 novembre dernier des exigences de traçabilité détaillées pour les organismes génétiquement modifiés, ainsi que pour les denrées alimentaires et les aliments pour animaux produits à partir d'OGM. En effet, si la notion de traçabilité était déjà évoquée par la directive 2001/18/CE ­ qui impose aux Quinze de garantir l'étiquetage des OGM à tous les stades de leur commercialisation ­, celle-ci ne fixait ni la définition exacte de ce terme, ni les objectifs qui s'y rattachent, ni les modalités complètes de sa mise en uvre. Par conséquent, la nouvelle réglementation, en vigueur également au mois d'avril 2004, fixe le seuil de présence fortuite d'OGM à 0,9%. Au-delà, un étiquetage spécifique s'imposera, excepté pour les produits issus d'animaux nourris avec des aliments génétiquement modifiés comme la viande, le lait ou les oeufs.

Dix-huit OGM actuellement autorisés en Europe
A l'heure actuelle, 29 organismes génétiquement modifiés sont dans le processus européen d'autorisation. En cas d'homologation, ils viendraient ainsi s'ajouter aux 18 OGM actuellement autorisés au titre de la directive 90/220/CEE de 1990 et adopté avant le moratoire adopté en 1999 ­ plus exactement avant octobre 1998, date de la dernière autorisation. L'utilisation de ces 18 organismes est variable. Certains sont destinés à la culture, d'autres à l'importation et à la transformation, d'autres encore comme aliments pour les animaux et certains enfin comme denrées alimentaires Concernant l'alimentation, seuls des produits dérivés d'OGM (huiles, farines) sont actuellement consommé en Europe. Sont concernés des plants de maïs, de colza oléagineux, de graines de soja et de chicorée. La première autorisation en Europe remonte au 18 décembre 1992. Il s'agit du vaccin vivant Nobi-Porvac contre la maladie d'Aujeszky, infection qui touche les porcs. Néanmoins, à l'échelon européen, les cultures d'OGM, soit actuellement quelques dizaines de milliers d'hectares de maïs pour l'essentiel situés en Espagne, restent anecdotiques par rapport aux 59 millions d'hectares cultivés à travers le monde.
Une situation qui peut sembler paradoxale, car toute culture de ces OGM s'inscrirait indubitablement dans la légalité, le moratoire "de fait" adopté en 1999 par la France, l'Italie, la Grèce, le Danemark et le Luxembourg ne bloquant que les nouvelles autorisations d'OGM et ce, tant que des règlements sur leur traçabilité et leur étiquetage ne seraient pas adoptés. Ces cinq états ont été rejoints l'année suivante par l'Autriche et la Belgique. Plus qu'une interdiction pure et simple donc, excepté pour les essais scientifiques, lesquels ont continué à se poursuivre après 1999, on peut ici davantage parler de moratoire "psychologique" pour qualifier le refus de tout à chacun de cultiver des organismes pourtant légalisés par les instances européennes.

Vingt-neuf demandes en attentes
En dehors des dossiers adoptés préalablement au moratoire, 29 demandes sont donc actuellement dans le processus européen d'homologation. 21 d'entre elles ont été soumises à la procédure d'autorisation de la directive 2001/18/CE. Ce sont du colza oléagineux, des betteraves sucrières, des graines de soja, du coton, du riz et des betteraves fourragères. Onze de ces demandes ne concernent que l'importation et la transformation, aucunement donc une éventuelle mise en culture, ce qui n'est pas le cas des dix autres.
Sur ces 21 demandes, la plus avancée dans la procédure est celle du maïs NK 603 (Monsanto), qui concerne uniquement l'importation et la transformation, en aucun cas la culture. L'AESA, troisième étape du processus d'homologation, a rendu le 4 décembre un avis favorable. La Commission européenne devrait maintenant convoquer le comité de réglementation en vue d'une décision finale, au début du mois de février 2004. Une autre demande, celle du colza GT 73 (Monsanto), doit également être prochainement soumise à l'avis des experts de l'AESA. Là aussi, la demande ne concerne pas une éventuelle mise en culture.
A côté de cette vingtaine de dossiers en attente, huit concernent l'approbation de nouveaux produits OGM, mais cette fois-ci en tant que denrées alimentaires, laquelle inclut désormais des dispositions en matière de traçabilité et d'étiquetage, comme le requiert la nouvelle législation (1830/2003/CE). L'évaluation scientifique des risques est achevée pour deux d'entre eux : le maïs doux BT 11 (Syngenta) et le blé GA 21 (Monsanto). L'homologation revient donc désormais aux représentants des Quinze réunis au sein du Comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale, comme ce sera ainsi le cas lundi 8 décembre, pour le maïs BT 11 (Voir encadré). Le maïs NK603 (Monsanto) vient également depuis le 4 décembre de rejoindre ce duo de tête, après l'avis favorable rendu par l'AESA, qui suit ainsi sa décision intervenue le même jour et concernant ce même OGM, mais dans le cadre cette fois-ci de la directive 2001/18/CE, comme évoqué dans le paragraphe précédent.

La clause dite de "sauvegarde"
Face à ces autorisations, chaque pays de l'UE peut, s'il a des raisons valables de considérer qu'un OGM constitue à ses yeux un risque pour la santé humaine ou l'environnement, de restreindre ou d'interdire provisoirement l'utilisation et/ou la vente de ce produit à l'intérieur de ses frontières. Il s'agit d'une part, de l'article 16 de la directive 90/220/CEE, dite clause de sauvegarde. Il a été invoqué à neuf reprises, par l'Autriche (3), la France (2), l'Allemagne, le Luxembourg, la Grèce et le Royaume-Uni, pour neuf des dix-huit OGM homologués avant l'adoption du moratoire. Les preuves scientifiques, avancées par ces six pays pour remettre en cause ces autorisations, ont cependant été jugées insuffisantes pour justifier l'annulation de la décision initiale. De plus, avec l'adoption depuis de la directive 2001/18/CEE, ces interdictions nationales se doivent d'être levées.
Deuxième clause dite de "sauvegarde", celle relatives aux denrées alimentaires génétiquement modifiées, dans le cadre de l'ancienne directive 258/97 (article 12). L'Italie est le seul pays à l'avoir invoqué, c'était en août 2000, après avoir suspendu la commercialisation et l'utilisation de produits dérivés de quatre variétés de maïs génétiquement modifiés (MON 810 de Monsanto, T25 de Bayer Crop Science, BT 11 de Syngenta et MLON 809 de Pioneer). Ceux-ci avaient été autorisés dans le cadre d'une procédure dite simplifiée, qui ne nécessite qu'une notification à la Commission européenne. Elle concerne les aliments produits à partir d'OGM, mais n'en contenant plus, les rendant ainsi substantiellement équivalents aux aliments traditionnels comparables.

 

(*) En anglais, European food savety authority (EFSA)

Source : © Milfeuille Presse Thomas Quéguiner