Lundi 8 décembre 2003, les experts du Comité permanent de la chaîne alimentaire de l'Union européenne (UE) se réunissent une nouvelle fois afin d'autoriser ou non, l'importation par les Quinze du maïs doux transgénique BT 11 du semencier suisse Syngenta, ce qui en ferait le premier aliment "tout-OGM" destiné à l'homme en Europe. Tandis qu'une réponse positive entraînerait de facto une levée du moratoire en vigueur depuis 1999, c'est l'occasion, à quelques heures d'un vote qui s'annonce crucial pour l'agriculture européenne, d'éclaircir un peu plus la nébuleuse réglementaire qui encadre la diffusion des organismes génétiquement modifiés (OGM).
Une décision que personne ne veut prendre
La proposition sur le BT 11 de Syngenta soumise lundi 8 décembre
au Comité permanent pour les denrées alimentaires,
requiert un vote favorable à la majorité qualifiée.
Si les Quinze donnent leur accord, ce maïs doux transgénique
en boite sera autorisé à l'importation, devenant
ainsi le premier aliment "tout-OGM" destiné à
l'homme en Europe.
Cependant, la question de la levée du moratoire est extrêmement
sensible au sein de l'UE, suivant ainsi une opinion publique majoritairement
opposée aux OGM. Le comité pourrait donc choisir
de s'abstenir ou de voter contre le dossier.
Faute d'approbation, le dossier BT 11 reviendra aux ministres
de l'Agriculture ou de l'Industrie des Quinze. Ces derniers devront
alors se prononcer pour ou contre, voire décider de ne
rien faire. Le dossier reviendrait alors devant la Commission
dont la décision interviendrait au bout de trois mois.
Les états-membres, peu pressés d'affronter leur
opinion publique, se "déchargeraient" ainsi en
quelque sorte de la décision cruciale de levée du
moratoire sur la Commission.
Trois règlements communautaires
1) La directive sur la dissémination volontaire des
OGM dans l'environnement (2001/18/CE).
Elle remplace depuis 2001 la réglementation 90/220/CEE
adoptée en 1990, qui a permis l'homologation de 18 OGM
jusqu'à l'instauration en 1999 du moratoire. Le processus
d'homologation se fait désormais en trois étapes,
fondées sur une évaluation au cas par cas des risques
pour la santé humaine, l'environnement et ce, avant toute
dissémination dans la nature et mise sur le marché
d'OGM ou de produits qui en sont composés. Tout dossier
passe ainsi dans un premier temps par une période dite
"nationale" où, au sein de chaque état
membre, la principale autorité compétente
comme la Commission du génie bio-moléculaire (CGB)
en France , est invitée à émettre un
avis. Le dossier passe ensuite dans sa période dite "communautaire",
pendant laquelle la Commission européenne et les autorités
compétentes des Quinze qui ont fait part de leurs réticences,
tentent de trouver un terrain d'entente. Enfin, vient la phase
de "consultation de l'AESA", l'Autorité européenne
de sécurité des aliments (*), dernier organisme
à rendre un avis, avant la décision finale, qui
revient à Bruxelles.
2) La directive sur les denrées alimentaires et aliments
pour animaux génétiquement modifiés (1829/2003/CE).
En vigueur depuis le 7 novembre dernier, son application n'interviendra
cependant qu'après un période transitoire de cinq
mois, soit au mois d'avril 2004. Elle remplace la partie concernant
les produits génétiquement modifiés adoptée
le 27 janvier 1997, dans le cadre de la réglementation
sur les nouveaux aliments et ingrédients alimentaires (258/97/CE),
mais dont le mécanisme apparaissait relativement compliqué
et manquait de transparence. Dans ce cadre alimentaire, 16 OGM
peuvent être actuellement commercialisé légalement
en Europe. Pour deux d'entre eux, l'autorisation date d'avant
1997 et suit donc la directive 90/220/CE. Ils font partis des
18 OGM légalisés par ce règlement. Les autres,
des aliments transformés issus colza oléagineux,
de maïs, ainsi que des huiles à base de coton, ont
été notifiés comme "substantiellement
équivalent" (voir dernier paragraphe.
3) La directive sur la traçabilité et l'étiquetage
des OGM et la traçabilité des denrées alimentaires
et aliments pour animaux produits à partir d'OGM. (1830/2003/CE).
Ce texte, qui veut ôter les derniers obstacles à
une levée éventuelle du moratoire, fixe depuis le
7 novembre dernier des exigences de traçabilité
détaillées pour les organismes génétiquement
modifiés, ainsi que pour les denrées alimentaires
et les aliments pour animaux produits à partir d'OGM. En
effet, si la notion de traçabilité était
déjà évoquée par la directive 2001/18/CE
qui impose aux Quinze de garantir l'étiquetage des
OGM à tous les stades de leur commercialisation ,
celle-ci ne fixait ni la définition exacte de ce terme,
ni les objectifs qui s'y rattachent, ni les modalités complètes
de sa mise en uvre. Par conséquent, la nouvelle réglementation,
en vigueur également au mois d'avril 2004, fixe le seuil
de présence fortuite d'OGM à 0,9%. Au-delà,
un étiquetage spécifique s'imposera, excepté
pour les produits issus d'animaux nourris avec des aliments génétiquement
modifiés comme la viande, le lait ou les oeufs.
Dix-huit OGM actuellement autorisés
en Europe
A l'heure actuelle, 29
organismes génétiquement modifiés sont dans
le processus européen d'autorisation. En cas d'homologation,
ils viendraient ainsi s'ajouter aux 18 OGM actuellement autorisés
au titre de la directive 90/220/CEE de 1990 et adopté avant
le moratoire adopté en 1999 plus exactement avant
octobre 1998, date de la dernière autorisation. L'utilisation
de ces 18 organismes est variable. Certains sont destinés
à la culture, d'autres à l'importation et à
la transformation, d'autres encore comme aliments pour les animaux
et certains enfin comme denrées alimentaires Concernant
l'alimentation, seuls des produits dérivés d'OGM
(huiles, farines) sont actuellement consommé en Europe.
Sont concernés des plants de maïs, de colza oléagineux,
de graines de soja et de chicorée. La première autorisation
en Europe remonte au 18 décembre 1992. Il s'agit du vaccin
vivant Nobi-Porvac contre la maladie d'Aujeszky, infection qui
touche les porcs. Néanmoins, à l'échelon
européen, les cultures d'OGM, soit actuellement quelques
dizaines de milliers d'hectares de maïs pour l'essentiel
situés en Espagne, restent anecdotiques par rapport aux
59 millions d'hectares cultivés à travers le monde.
Une situation qui peut sembler paradoxale, car toute culture de
ces OGM s'inscrirait indubitablement dans la légalité,
le moratoire "de fait" adopté en 1999 par la
France, l'Italie, la Grèce, le Danemark et le Luxembourg
ne bloquant que les nouvelles autorisations d'OGM et ce, tant
que des règlements sur leur traçabilité et
leur étiquetage ne seraient pas adoptés. Ces cinq
états ont été rejoints l'année suivante
par l'Autriche et la Belgique. Plus qu'une interdiction pure et
simple donc, excepté pour les essais scientifiques, lesquels
ont continué à se poursuivre après 1999,
on peut ici davantage parler de moratoire "psychologique"
pour qualifier le refus de tout à chacun de cultiver des
organismes pourtant légalisés par les instances
européennes.
Vingt-neuf demandes en attentes
En dehors des dossiers
adoptés préalablement au moratoire, 29 demandes
sont donc actuellement dans le processus européen d'homologation.
21 d'entre elles ont été soumises à la procédure
d'autorisation de la directive 2001/18/CE. Ce sont du colza oléagineux,
des betteraves sucrières, des graines de soja, du coton,
du riz et des betteraves fourragères. Onze de ces demandes
ne concernent que l'importation et la transformation, aucunement
donc une éventuelle mise en culture, ce qui n'est pas le
cas des dix autres.
Sur ces 21 demandes, la plus avancée dans la procédure
est celle du maïs NK 603 (Monsanto), qui concerne uniquement
l'importation et la transformation, en aucun cas la culture. L'AESA,
troisième étape du processus d'homologation, a rendu
le 4 décembre un avis favorable. La Commission européenne
devrait maintenant convoquer le comité de réglementation
en vue d'une décision finale, au début du mois de
février 2004. Une autre demande, celle du colza GT 73 (Monsanto),
doit également être prochainement soumise à
l'avis des experts de l'AESA. Là aussi, la demande ne concerne
pas une éventuelle mise en culture.
A côté de cette vingtaine de dossiers en attente,
huit concernent l'approbation de nouveaux produits OGM, mais cette
fois-ci en tant que denrées alimentaires, laquelle inclut
désormais des dispositions en matière de traçabilité
et d'étiquetage, comme le requiert la nouvelle législation
(1830/2003/CE). L'évaluation scientifique des risques est
achevée pour deux d'entre eux : le maïs doux BT 11
(Syngenta) et le blé GA 21 (Monsanto). L'homologation revient
donc désormais aux représentants des Quinze réunis
au sein du Comité permanent de la chaîne alimentaire
et de la santé animale, comme ce sera ainsi le cas lundi
8 décembre, pour le maïs BT 11 (Voir encadré).
Le maïs NK603 (Monsanto) vient également depuis le
4 décembre de rejoindre ce duo de tête, après
l'avis favorable rendu par l'AESA, qui suit ainsi sa décision
intervenue le même jour et concernant ce même OGM,
mais dans le cadre cette fois-ci de la directive 2001/18/CE, comme
évoqué dans le paragraphe précédent.
La clause dite de "sauvegarde"
Face à ces autorisations,
chaque pays de l'UE peut, s'il a des raisons valables de considérer
qu'un OGM constitue à ses yeux un risque pour la santé
humaine ou l'environnement, de restreindre ou d'interdire provisoirement
l'utilisation et/ou la vente de ce produit à l'intérieur
de ses frontières. Il s'agit d'une part, de l'article 16
de la directive 90/220/CEE, dite clause de sauvegarde. Il a été
invoqué à neuf reprises, par l'Autriche (3), la
France (2), l'Allemagne, le Luxembourg, la Grèce et le
Royaume-Uni, pour neuf des dix-huit OGM homologués avant
l'adoption du moratoire. Les preuves scientifiques, avancées
par ces six pays pour remettre en cause ces autorisations, ont
cependant été jugées insuffisantes pour justifier
l'annulation de la décision initiale. De plus, avec l'adoption
depuis de la directive 2001/18/CEE, ces interdictions nationales
se doivent d'être levées.
Deuxième clause dite de "sauvegarde", celle relatives
aux denrées alimentaires génétiquement modifiées,
dans le cadre de l'ancienne directive 258/97 (article 12). L'Italie
est le seul pays à l'avoir invoqué, c'était
en août 2000, après avoir suspendu la commercialisation
et l'utilisation de produits dérivés de quatre variétés
de maïs génétiquement modifiés (MON
810 de Monsanto, T25 de Bayer Crop Science, BT 11 de Syngenta
et MLON 809 de Pioneer). Ceux-ci avaient été autorisés
dans le cadre d'une procédure dite simplifiée,
qui ne nécessite qu'une notification à la Commission
européenne. Elle concerne les aliments produits à
partir d'OGM, mais n'en contenant plus, les rendant ainsi substantiellement
équivalents aux aliments traditionnels comparables.
(*) En anglais, European food savety authority (EFSA)
Source : © Milfeuille Presse Thomas Quéguiner