OGM - Gilles-Eric Séralini: "Si les gènes naturels mutaient aussi vite que les gènes artificiels, on serait tous des monstres après-demain!"
27/10/2003 - 19h30 (FR)

Propos recueillis par Thomas Quéguiner

 

A l'heure où le débat sur les OGM reprend de plus belle en Europe avec une possible levée, dans les prochaines semaines, du moratoire en place depuis 1999, le scientifique Gilles-Eric Séralini (*) craint une dérive autocratique de l'industrie du vivant, dont la production de semences sous brevet s'avère selon lui, "le meilleur moyen d'affamer le monde". (Le texte de cet entretien a été relu par Gilles-Eric Séralini)

- Terre-net: A l'heure actuelle, où en est-on du débat sur les OGM?
- Gilles-Eric Séralini: Deux problèmes majeurs se posent. Ainsi, les nouveaux règlements européens concernant la traçabilité et l'étiquetage des OGM sont parus au Journal Officiel le 18 octobre 2003 et devraient donc être en vigueur fin janvier. Ils s'avèrent pourtant inapplicables. Il faudrait pour cela la mise en place au niveau international, d'une banque des séquences des gènes artificiels introduits dans les cultures, notamment pour savoir reconnaître les OGM expérimentaux ou en attente d'autorisation, alors qu'ils sont aussi prévus comme contaminants possibles par la directive 2001/18 et les nouveaux règlements sur l'étiquetage et la traçabilité. Le besoin est criant pour un organisme impartial international chargé de cette reconnaissance des OGM. Prenons l'exemple du maïs Meristem. S'il venait à contaminer l'environnement, seul Meristem peut aujourd'hui le reconnaître. Deuxièmement, les OGM commercialisés, comme les maïs GA21 et MON810 de Monsanto, ou T25 de Bayer ont déjà dérivé. Leurs gènes ont muté, notamment aux extrémités, ou en tout cas ne correspondent plus à ce qui était déclaré dans les dossiers d'homologations, ce qui montre la très grande instabilité des gènes artificiels. Si les gènes naturels mutaient aussi vite, on serait tous des monstres après-demain! Les dossiers d'homologations sont donc caducs.

- Terre-net: Craignez-vous une levée du moratoire de 1999 dans les prochaines semaines, comme on le laisse entendre ici ou là?
- Gilles-Eric Séralini:
Personnellement, je le prends plus comme un énième effet d'annonce, récurrent ces douze derniers mois chez les producteurs d'OGM. La Commission a, ce n'est pas une surprise, toujours été favorable à la levée du moratoire; avant même qu'il ne soit mis en place certains revendiquaient le besoin de ne pas ralentir la commercialisation à la Commission Recherche, notamment. La grande prévenance des ministères de l'économie et de la recherche pour ne pas être en retard sur le brevetage du vivant, y est pour beaucoup. Pourtant, l'Europe devrait comprendre qu'il est nécessaire de valoriser l'agriculture sans OGM. Celle-ci aura toujours sa place. Au moindre problème, on se jettera à nouveau sur elle. Les Quinze doivent défendre cette carte là. Naturellement, si les lobbies l'emportent, le risque d'une levée du moratoire par les politiques existe.

- Terre-net: De nombreux scientifiques présentent les OGM comme "la" solution au problème de la faim dans le monde. Partagez-vous ce point de vue?
- Gilles-Eric Séralini:
Non. Produire des semences sous brevet, c'est le meilleur moyen d'affamer le monde et d'établir ainsi une nouvelle disparité entre les pays riches et les pays pauvres. Ces derniers n'auront plus accès au droit fondamental qu'est celui de replanter les semences de leur récoltes sans payer des taxes. C'est pire que la question des médicaments génériques, car il faut manger avant de pouvoir penser à se soigner ou à s'habiller. De plus, actuellement, 99% des OGM servent à nourrir les vaches, les porcs et les pays riches avec leurs résidus dans l'alimentation humaine, et non pas les enfants des pays pauvres. Pourtant, nous avons plus de 20 années de savoir faire (la première plante transgénique date de 1983) et bientôt 9 ans de commercialisation! Si nous avions voulu faire des plantes high-tech contre la famine, cela se saurait! Mais ce concept est-il réaliste? De plus, ces cultures ne sont pas adaptées à ces pays pauvres. Les caractères de résistance à la sécheresse ou à la salinité des sols sont extrêmement complexes. Il ne suffit pas d'agir sur un seul gène pour les résoudre. Il existe pourtant des variétés naturelles adaptées à ces conditions, mais malheureusement, rien n'est fait pour les promouvoir.

- Terre-net: Dans votre dernier livre (*), vous écrivez que l'industrie du vivant tend actuellement à étendre sa main mise à la fois sur le scientifique, l'économique, le militaire et le politique. Qu'entendez-vous par-là?
- Gilles-Eric Séralini:
Ce quadruple pouvoir s'avère extrêmement dangereux. Au niveau économique, cela passe par le brevetage du vivant. Les pouvoirs génétique et scientifique s'illustrent dans la thérapie génique, le clonage et les OGM, que se répartissent un petit cercle de multinationales. Pouvoir militaire également, avec le dévelopememt des armes bactériologiques, la guerre de demain. Enfin oui, pouvoir politique. L'histoire du 20ème siècle est jalonnée d'abus sur les théories génétiques, comme l'eugénisme aux Etats-Unis avant la guerre 39-45 ou le nazisme. Plus près de nous, la directive européenne 98/44 qui permet les brevets sur les gènes a été votée par le Parlement européen et doit être discutée dans chaque pays. C'est une révolution majeure qui se répercute au final sur la propriété privée des droits de reproduction des organismes vivants végétaux et animaux nécessaires à l'alimentation, comme nous l'avons souligné. Sous pression d'un lobbying économique intense. Et puis, le fait de décider ou non de la commercialisation des OGM passe par une décison politique.

- Terre-net: Comment jugez-vous l'état actuel des recherches en matière d'OGM?
- Gilles-Eric Séralini:
Il faut éclaircir la part d'ombre qui existe autour des OGM. A partir du moment où la recherche imprègne le milieu ouvert et donc, le champ qui est un espace social, il faut absolument établir des précautions beaucoup plus sérieuses que celles qui sont en vigueur. On ne devrait pas démarrer d'expérimentations dans un champ sans avoir auparavant caractérisé les risques de contamination en fonction de la taille du champ, de la présence de ruches par exemple. Il faudrait pouvoir les vérifier, ce qui n'est pas le cas actuellement puisque les séquences des OGM expérimentaux ne sont pas disponibles pour les laboratoires de dosages. Des contrôles de toxicité avant et après la sortie de serre doivent être instaurés. Malheureusement, ils n'ont lieu que longtemps après. Et puis, d'accord pour la recherche, mais dans quel but? Aujourd'hui, 98% des travaux portent, non pas sur les risques liés aux OGM, mais sur la mise au point de variétés agronomiques dans le seul but d'accroître leur commercialisation. 75% des OGM sont faits pour tolérer un désherbant (surtout soja, maïs, coton et colza round-up...) dans le monde. On cherche donc à créer une plante qui puisse vivre en présence d'un désherbant sans mourir. Elle est OGM parce qu'elle est capable de s'en imprégner sans flétrir. Qu'on m'explique en quoi cette politique s'avère une bonne stratégie écologique et sanitaire pour l'humanité?

 

"Génétiquement incorrect", le dernier livre de Gilles-Eric Séralini, en kiosque le 10 novembre.

(*) Gilles-Éric Séralini est professeur des universités en biologie moléculaire à l'université de Caen. Ses recherches portent sur les relations entre hormones de la reproduction, polluants et cancers. Expert depuis 1998 au sein de deux commissions gouvernementales françaises chargées d'évaluer les OGM avant et après leur commercialisation, il préside aussi le conseil scientifique du Comité de recherche et d'information indépendantes sur le génie génétique (CRII-GEN). Il est l'auteur de "OGM, le vrai débat" (Flammarion, 2000) et de "Génétiquement incorrect", qui sort en librairie le 10 novembre 2003 (Flammarion, 2003, 19 euros).

Source : © Milfeuille Presse
Propos recueillis par Thomas Quéguiner