A quelques heures du début du second Forum social européen qui se tient du 12 au 15 novembre 2003 en Ile-de-France, Thierry Martin, 44 ans, producteur laitier à Saint-Aubain-du-Thenney (Eure) et membre de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), nous raconte ses espérances d'alter-mondialiste au sein d'un parti trotskiste dont l'idéologie reste, aux yeux d'un grand nombre de personnes, plus prompte à soutenir l'ouvrier métallo que le petit propriétaire terrien.
- Terre-net : Pourquoi avoir choisi
d'adhérer à la Ligue communiste révolutionnaire
?
- Thierry Martin : Dans ma jeunesse, j'ai toujours été
sensible aux difficultés du monde agricole. J'étais
alors militant libertaire, mais je me retrouvais de moins en moins
dans l'orthodoxie pur et dur de ce mouvement. La rupture s'est
faite avec l'arrivée au pouvoir des Sandinistes au Nicaragua
en 1979. Les anarchistes ne souhaitaient pas soutenir la révolte.
Pour ma part, certes j'étais en désaccord politique
avec les sandinistes, mais je voulais néanmoins, au nom
de l'internationalisme, les soutenir. J'ai finalement rejoint
la LCR au milieu des années 80, au moment de la campagne
du communiste Pierre Juquin aux présidentielles de 1988.
L'attitude de mes camarades, leur rigueur m'a énormément
impressionné. Quinze ans plus tard, la position de la ligue
est entièrement la mienne, notamment sa propension à
intégrer des mouvements multiformes de contestation, comme
DAL, les féministes, Attac, Ras l'Front... La LCR est très
impressionnée et imprègne ces contestations sociales.
Plus qu'une réciprocité, c'est une osmose.
- Terre-net : Pourquoi ne pas
s'être limité au travail syndical ?
- Thierry Martin : J'ai
adhéré à des syndicats, mais ce mode d'action
a des limites. Les choses ne peuvent changer que d'une manière
globale, comme par la grève générale, à
l'image de mai 68. Le syndicalisme, c'est important pour s'organiser
à l'échelon d'un problème concret, spécifique,
mais il faut dépasser cela pour déboucher sur des
idées.
- Terre-net : Dans l'idéologie
marxiste, le prolétariat ne se réfère pourtant
pas vraiment au monde agricole...
- Thierry Martin : Pour
ma part, j'estime que le prolétariat représente
85% des gens qui travaillent actuellement dans ce pays. L'agriculteur
qui n'a recours qu'à sa seule force de travail pour vivre,
en fait partie. Celui qui n'est pas dans l'idée de nourrir
sa famille, c'est différent. Le prolétariat ne se
limite pas à la simple image de l'ouvrier en bleu de travail.
C'est finit çà. Et pour l'essentiel, mes camarades
au sein de la ligue partagent ce point de vue. On est des travailleurs
paysans, pas des chefs d'entreprises !
- Terre-net : Vous devez néanmoins
vous satisfaire que l'expression "dictature du prolétariat"
ait été retirée des statuts de la LCR, suite
au congrès de la semaine dernière, non ?
- Thierry Martin : Effectivement,
je m'en félicite. Je pense qu'il fallait le faire, non
pas pour une question de dogme, mais par rapport à l'histoire
et notamment les méfaits du stalinisme. Ce n'était
plus un choix très judicieux de conserver cette référence
à la dictature du prolétariat dans les textes. Ça
aurait demandé un long travail d'explication si on l'avait
maintenue. Vous savez, il ne faut pas priver le paysan d'une libre
gestion de ses biens, ne pas étatiser les terres des petits
agriculteurs. La croyance, certainement utopique, de cette liberté
d'intervention du paysan, doit être maintenue. Sinon, la
famine risque de se faire sentir rapidement.
- Terre-net : Que pensez-vous
de l'accord signé avec Lutte Ouvrière, un parti
qui ne porte pourtant pas vraiment les agriculteurs dans son coeur,
en vue des régionales de mars 2004 ?
- Thierry Martin : Il
s'agit d'un accord électoral, mais il est certain que LO
n'use pas des même pratiques que les nôtres. Je pense
que c'est le maximum qu'on puisse faire avec eux. Leur vision
de la société reste rigide, caricaturale et passéiste.
J'ai le sentiment de ne pas être au centre de leurs préoccupations.
La question agricole ne les intéresse pas, car ils nous
considèrent comme des chefs d'entreprises, des chasseurs
de primes à la solde du pouvoir. Mais je suis aussi un
militant révolutionnaire qui voit l'intérêt
que peut tirer la ligue d'une telle alliance.
Thierry Martin (LCR) : "Il
faut maintenir les primes agricoles,
sinon on adopte des cours mondiaux dictés depuis Chicago
qui n'ont aucune réalité." (© LCR)
- Terre-net : Comment jugez-vous
la dernière réforme de la Politique agricole commune
(PAC) ?
- Thierry Martin : Le
découplage en fonction de la surface et du sol risque de
liquider 50% des fermes européennes. On va vers l'élimination
du plus grand nombre de paysans au lieu de maintenir à
la terre un maximum de travailleurs. Je suis également
contre le principe de dégressivité des aides, ainsi
que la baisse des prix, qui va là aussi, liquider les petits
agriculteurs. Il faut maintenir les primes sinon on adopte des
cours mondiaux dictés depuis Chicago qui n'ont aucune réalité.
Naturellement, il faut les répartir autrement pour éviter
de viabiliser les grosses exploitations. Il faut refonder la PAC
sur d'autres lignes directrices que celles concurrentielles développées
actuellement par la Commission européenne, et donc redémarrer
les discussions sur d'autres bases et d'autres finalités.
- Terre-net : La Confédération
Paysanne estime que la crise porcine devrait se prolonger au minimum
jusqu'en 2005. Partagez-vous ce point de vue ?
- Thierry Martin : Je
suis encore plus pessimiste que la Confédération
Paysanne. Cette crise chronique est typique du système
capitaliste. On a laissé la possibilité à
la crise d'arriver. Quand j'étais plus jeune, le cochon
était tué à 110 ou 120 kg. Aujourd'hui, j'en
connais qui le font dès 80 kg ! Il y a trop de porcs, il
faut réguler la production. Drastiquement, peut-être
pas, mais il faut un seuil maximum de porcs par exploitation et
une garantie des prix. Enfin, la production doit être répartie
sur tout le territoire et ne pas se cloisonner à la Bretagne.
- Terre-net : Après
la décision prise le lundi 10 novembre par l'Union européenne
de reporter au 12 décembre sa décision sur l'homologation
ou non, du maïs BT11, où vous placez-vous dans le
débat actuel sur les organismes génétiquement
modifiés (OGM) ?
- Thierry Martin : Les
Etats-Unis nous les imposent et l'Europe n'entend pas se laisser
semer dans sa recherche. On assiste donc à une course folle
au bénéfice du fric de Bruxelles pour ne pas perdre
ce marché. Il faut se prémunir contre cette catastrophe
annoncée des OGM, utiliser le principe de précaution
et dénoncer l'attitude des grands pays comme les USA, le
Canada ou le Brésil. Vous savez, le bond en avant nous
prive du passé. C'est une politique de la terre brûlée.
Les possibilités de retour en arrière, une fois
la catastrophe survenue, sont limités. Prenez tous les
espèces animales et végétales qui ont disparu
du fait de l'action de l'Homme.
- Terre-net : Le deuxième
Forum social européen débute demain. Des milliers
de personnes sont attendues. Pensez-vous réellement que
les choses vont un jour réellement changer, et ne pas se
limiter à une simple série de séminaires
propre à ce type de rassemblement?
- Thierry Martin : Je
suis extrêmement optimiste. Paris ne s'est pas fait en un
jour. Avec le succès de ce type de rassemblement, je vois
d'une part un renforcement des réseaux des gens qui sont
contre la mondialisation. Petit à petit, un plan d'urgence
se dessine. Le mouvement social se réclame de son autonomie
vis-à-vis des partis, mais on est complètement en
phase avec eux. Ce n'est pas de la récupération.
Un jour, l'orientation politique sera plus claire et cela va se
fusionner. Si l'on veut réellement changer la donne, l'outil
efficace c'est le parti. Il faut un grand parti anti-capitaliste.
Source : © Milfeuille Presse
Propos recueillis par Thomas Quéguiner