Forum social européen - Thierry Martin (LCR) :
"On est des travailleurs paysans, pas des chefs d'entreprises !"
11/11/2003 - 16h53 (FR)

Thomas Quéguiner

 

A quelques heures du début du second Forum social européen qui se tient du 12 au 15 novembre 2003 en Ile-de-France, Thierry Martin, 44 ans, producteur laitier à Saint-Aubain-du-Thenney (Eure) et membre de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), nous raconte ses espérances d'alter-mondialiste au sein d'un parti trotskiste dont l'idéologie reste, aux yeux d'un grand nombre de personnes, plus prompte à soutenir l'ouvrier métallo que le petit propriétaire terrien.

- Terre-net : Pourquoi avoir choisi d'adhérer à la Ligue communiste révolutionnaire ?
- Thierry Martin : Dans ma jeunesse, j'ai toujours été sensible aux difficultés du monde agricole. J'étais alors militant libertaire, mais je me retrouvais de moins en moins dans l'orthodoxie pur et dur de ce mouvement. La rupture s'est faite avec l'arrivée au pouvoir des Sandinistes au Nicaragua en 1979. Les anarchistes ne souhaitaient pas soutenir la révolte. Pour ma part, certes j'étais en désaccord politique avec les sandinistes, mais je voulais néanmoins, au nom de l'internationalisme, les soutenir. J'ai finalement rejoint la LCR au milieu des années 80, au moment de la campagne du communiste Pierre Juquin aux présidentielles de 1988. L'attitude de mes camarades, leur rigueur m'a énormément impressionné. Quinze ans plus tard, la position de la ligue est entièrement la mienne, notamment sa propension à intégrer des mouvements multiformes de contestation, comme DAL, les féministes, Attac, Ras l'Front... La LCR est très impressionnée et imprègne ces contestations sociales. Plus qu'une réciprocité, c'est une osmose.

- Terre-net : Pourquoi ne pas s'être limité au travail syndical ?
- Thierry Martin :
J'ai adhéré à des syndicats, mais ce mode d'action a des limites. Les choses ne peuvent changer que d'une manière globale, comme par la grève générale, à l'image de mai 68. Le syndicalisme, c'est important pour s'organiser à l'échelon d'un problème concret, spécifique, mais il faut dépasser cela pour déboucher sur des idées.

- Terre-net : Dans l'idéologie marxiste, le prolétariat ne se réfère pourtant pas vraiment au monde agricole...
- Thierry Martin :
Pour ma part, j'estime que le prolétariat représente 85% des gens qui travaillent actuellement dans ce pays. L'agriculteur qui n'a recours qu'à sa seule force de travail pour vivre, en fait partie. Celui qui n'est pas dans l'idée de nourrir sa famille, c'est différent. Le prolétariat ne se limite pas à la simple image de l'ouvrier en bleu de travail. C'est finit çà. Et pour l'essentiel, mes camarades au sein de la ligue partagent ce point de vue. On est des travailleurs paysans, pas des chefs d'entreprises !

- Terre-net : Vous devez néanmoins vous satisfaire que l'expression "dictature du prolétariat" ait été retirée des statuts de la LCR, suite au congrès de la semaine dernière, non ?
- Thierry Martin :
Effectivement, je m'en félicite. Je pense qu'il fallait le faire, non pas pour une question de dogme, mais par rapport à l'histoire et notamment les méfaits du stalinisme. Ce n'était plus un choix très judicieux de conserver cette référence à la dictature du prolétariat dans les textes. Ça aurait demandé un long travail d'explication si on l'avait maintenue. Vous savez, il ne faut pas priver le paysan d'une libre gestion de ses biens, ne pas étatiser les terres des petits agriculteurs. La croyance, certainement utopique, de cette liberté d'intervention du paysan, doit être maintenue. Sinon, la famine risque de se faire sentir rapidement.

- Terre-net : Que pensez-vous de l'accord signé avec Lutte Ouvrière, un parti qui ne porte pourtant pas vraiment les agriculteurs dans son coeur, en vue des régionales de mars 2004 ?
- Thierry Martin :
Il s'agit d'un accord électoral, mais il est certain que LO n'use pas des même pratiques que les nôtres. Je pense que c'est le maximum qu'on puisse faire avec eux. Leur vision de la société reste rigide, caricaturale et passéiste. J'ai le sentiment de ne pas être au centre de leurs préoccupations. La question agricole ne les intéresse pas, car ils nous considèrent comme des chefs d'entreprises, des chasseurs de primes à la solde du pouvoir. Mais je suis aussi un militant révolutionnaire qui voit l'intérêt que peut tirer la ligue d'une telle alliance.

 

Thierry Martin (LCR) : "Il faut maintenir les primes agricoles,
sinon on adopte des cours mondiaux dictés depuis Chicago qui n'ont aucune réalité." (© LCR)

- Terre-net : Comment jugez-vous la dernière réforme de la Politique agricole commune (PAC) ?
- Thierry Martin :
Le découplage en fonction de la surface et du sol risque de liquider 50% des fermes européennes. On va vers l'élimination du plus grand nombre de paysans au lieu de maintenir à la terre un maximum de travailleurs. Je suis également contre le principe de dégressivité des aides, ainsi que la baisse des prix, qui va là aussi, liquider les petits agriculteurs. Il faut maintenir les primes sinon on adopte des cours mondiaux dictés depuis Chicago qui n'ont aucune réalité. Naturellement, il faut les répartir autrement pour éviter de viabiliser les grosses exploitations. Il faut refonder la PAC sur d'autres lignes directrices que celles concurrentielles développées actuellement par la Commission européenne, et donc redémarrer les discussions sur d'autres bases et d'autres finalités.

- Terre-net : La Confédération Paysanne estime que la crise porcine devrait se prolonger au minimum jusqu'en 2005. Partagez-vous ce point de vue ?
- Thierry Martin :
Je suis encore plus pessimiste que la Confédération Paysanne. Cette crise chronique est typique du système capitaliste. On a laissé la possibilité à la crise d'arriver. Quand j'étais plus jeune, le cochon était tué à 110 ou 120 kg. Aujourd'hui, j'en connais qui le font dès 80 kg ! Il y a trop de porcs, il faut réguler la production. Drastiquement, peut-être pas, mais il faut un seuil maximum de porcs par exploitation et une garantie des prix. Enfin, la production doit être répartie sur tout le territoire et ne pas se cloisonner à la Bretagne.

- Terre-net : Après la décision prise le lundi 10 novembre par l'Union européenne de reporter au 12 décembre sa décision sur l'homologation ou non, du maïs BT11, où vous placez-vous dans le débat actuel sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) ?
- Thierry Martin :
Les Etats-Unis nous les imposent et l'Europe n'entend pas se laisser semer dans sa recherche. On assiste donc à une course folle au bénéfice du fric de Bruxelles pour ne pas perdre ce marché. Il faut se prémunir contre cette catastrophe annoncée des OGM, utiliser le principe de précaution et dénoncer l'attitude des grands pays comme les USA, le Canada ou le Brésil. Vous savez, le bond en avant nous prive du passé. C'est une politique de la terre brûlée. Les possibilités de retour en arrière, une fois la catastrophe survenue, sont limités. Prenez tous les espèces animales et végétales qui ont disparu du fait de l'action de l'Homme.

- Terre-net : Le deuxième Forum social européen débute demain. Des milliers de personnes sont attendues. Pensez-vous réellement que les choses vont un jour réellement changer, et ne pas se limiter à une simple série de séminaires propre à ce type de rassemblement?
- Thierry Martin :
Je suis extrêmement optimiste. Paris ne s'est pas fait en un jour. Avec le succès de ce type de rassemblement, je vois d'une part un renforcement des réseaux des gens qui sont contre la mondialisation. Petit à petit, un plan d'urgence se dessine. Le mouvement social se réclame de son autonomie vis-à-vis des partis, mais on est complètement en phase avec eux. Ce n'est pas de la récupération. Un jour, l'orientation politique sera plus claire et cela va se fusionner. Si l'on veut réellement changer la donne, l'outil efficace c'est le parti. Il faut un grand parti anti-capitaliste.

Source : © Milfeuille Presse
Propos recueillis par Thomas Quéguiner