LIBRE BELGIQUE

Environnement, PASCAL DE GENDT
Mis en ligne le:05/10/2003

Bruxelles, le 05-10-2003

 

OGM: UN GROS TRAVAIL DE PEDAGOGIE

Pour deux chercheurs belges, les demandes de mise sur le marché d'OGM vont atteindre un seuil critique. Le consommateur européen reste insuffisamment informé.

EPA

ENTRETIEN

Directive européenne sur l'étiquetage et la traçabilité, levée du moratoire européen sur les OGM en 2004, premiers débats en Belgique sur la culture de colza transgénique,... Le jour où le consommateur européen sera confronté à la présence de produits OGM dans les rayons de son magasin s'approche à grands pas. Est-il prêt à vivre cette évolution?

Gilbert Berben et Patrick du Jardin tentent de faire le point. Le premier est - entre autre - chef de section du département «qualité des productions agricoles» au Centre de recherches agronomiques de la Région wallonne. On retiendra du long CV du second qu'il est professeur à la Faculté des sciences agronomiques de Gembloux où il dirige l'unité de biologie végétale.

On parle beaucoup de la prochaine arrivée sur le marché européen de produits OGM. Où en est-on exactement?

P.d.J.: Nous sommes à un moment charnière où on peut effectivement envisager la levée du moratoire de facto. En 1998, les ministres européens de l'Environnement ont décidé un moment d'arrêt dans ce processus lorsque sont apparus les soucis d'améliorer l'information du public et la traçabilité des OGM. Avec l'adoption récente du réglement européen sur la traçabilité et l'étiquetage, nous avons maintenant des textes importants qui répondent aux préoccupations de libre choix du consommateur, d'information, de transparence et de capacité à prendre un peu de recul. Cela permettra d'évaluer dans quelques années les incidences, notamment environnementales, que les OGM auraient pu manifester.

Quand aura lieu cette levée du moratoire?

P.d.J.: Je ne crois pas qu'il faut s'attendre à une annonce officielle et bruyante d'une levée de moratoire, elle se fera de façon assez discrète lorsqu'on s'apercevra qu'un certain nombre de dossiers de mise sur le marché ont terminé leur parcours dans le cadre normatif prévu.

Pensez-vous que l'UE dispose des outils qui rassureront la population face à cette évolution?

P.d.J.: Des outils juridiques certainement mais il faut aussi un outil technique. Et il faut encore mettre un outil pédagogique en place. En effet, comment le consommateur va-t-il interpréter l'étiquette OGM lorsqu'elle apparaîtra? Actuellement, il n'a pas encore les outils pour le comprendre. Il va logiquement penser que quelque chose a changé dans la qualité du produit alors qu'avec ce nouveau règlement, cela peut très bien être un produit qui n'a absolument pas été modifié. On a voulu organiser un libre choix du consommateur mais il n'y a pas de liberté sans une bonne compréhension de ce qui lui est proposé.

G.B.: Il faut savoir qu'il y a eu une forte évolution dans la manière de considérer l'étiquetage. Avant, pour décider d'un étiquetage OGM, on pouvait se limiter à analyser le produit destiné au consommateur. Si on ne trouvait pas de traces d'OGM, il ne devait pas être étiqueté. Maintenant, même si on ne trouve rien mais qu'un ingrédient utilisé dans le produit dérive d'un OGM, il faudra l'étiqueter comme étant transgénique.

P.d.J.: Mais cela ne signifie pas pour autant que ce produit est différent de ce qu'ils ont l'habitude de consommer, voire de produits considérés comme «non-OGM», mais cela sera difficile à expliquer. On va juxtaposer une étiquette «contient des ingrédients dérivés d'OGM», qui ne dit rien sur la qualité et la composition d'un produit, à l'étiquette normale d'ingrédients qui a une signification en terme de composition. Il y a risque de confusion.

Les craintes de citoyens ne sont-elles pas plus motivées par la peur de l'exploitation par les grandes multinationales de ces découvertes que par les découvertes en elles-mêmes?

P.d.J.: Il y a clairement une nécessité d'une sorte de plate-forme de discussions entre le monde politique, les industries et les chercheurs. Les industriels qui ont mis des OGM sur le marché en ciblant une clientèle d'agriculteurs ont complètement négligé la communication vers le consommateur. Pour moi, en la matière, ils ont été des géants de la biotechnologie mais des nains de la communication. Le débat sur les OGM est un véritable laboratoire sur l'appropriation par la société des nouvelles technologies.

© La Libre Belgique 2003