JOHANNESBURG, 14 nov (IPS) - Un panel de femmes scientifiques bien en vue a affirmé que les chercheurs africains devaient sortir de leurs laboratoires et entrer dans le monde des prises de décisions s'ils veulent être d'un apport réel à leurs frères africains. Les femmes estiment que les chercheurs doivent également apprendre à vendre leurs idées.
''Les scientifiques sont plus à la maison, en train de se parler entre eux, et de remplir des papiers mystérieux que personne, autre que nous-mêmes, ne lit, plutôt que de (s'engager) dans le débat public'', a déclaré Florence Wambugu, de 'Harvest Biotech Foundation International', un institut basé à Nairobi, au Kénya, qui a été créé pour aider l'Afrique à tirer profit de la biotechnologie.
Wambugu était l'une des quatre femmes scientifiques de haut niveau qui s'étaient réunies récemment pendant le Forum des journalistes économiques d'Afrique à Johannesburg. En dehors d'elle, il y avait C.P.E. Omaliko de l'Agence nationale pour le développement de la biotechnologie au Nigeria, Norah Olembu de l'Université de Nairobi, et Jennifer Thomson de l'Université du Cap en Afrique du Sud.
''Les scientifiques ont un rôle à jouer dans la création de la richesse et de la croissance nationale, qui est généralement négligé parce que nous n'avons pas habituellement les compétences de relations publiques pour d'autres professions'', a déclaré Omaliko.
''Nous avons besoin d'information sur les activités visant à encourager les gens à profiter des avantages sociaux'', a-t-elle ajouté, avec l'approbation, d'un signe de la tête, de ses collègues scientifiques. Elles sont d'avis que plus de travail en réseau, à travers des conférences comme la rencontre de Johannesburg, sortirait les scientifiques de leur bec Bunsen (instruments de labo), pour leur permettre de présenter leurs idées à une audience plus large.
Les chercheurs avaient également besoin de prendre davantage conscience de la manière dont les progrès scientifiques affectaient les citoyens ordinaires.
''C'est un échange dans les deux sens'', a indiqué Omaliko. ''La science peut être intimidante pour le profane''. Les quatre femmes étaient d'accord que les scientifiques devaient être circonspects en attirant l'attention sur un travail qui avait des applications bénéfiques pour la société. Souvent, ceci manquait d'être fait et laissait la vulgarisation d'une nouvelle recherche à d'autres personnes.
Un exemple typique était le cas des organismes génétiquement modifiés (OGM) - des plantes qui ont été implantées avec des gènes d'autres organismes pour leur donner des caractéristiques particulières. Les partisans des OGM soutiennent qu'ils peuvent, entre autres choses, être conçus pour éloigner des insectes - épargnant ainsi aux agriculteurs le coût d'insecticides qui polluent l'environnement. On peut également donner aux plantes des gènes qui les rendent imperméables aux herbicides. Ces produits chimiques tuent seulement les mauvaises herbes indésirables. Des critiques des OGM affirment que les cultures modifiées sont en train d'être imposées aux consommateurs avant qu'une recherche substantielle sur la sécurité des plantes n'ait été faite. Plusieurs activistes anti-OGM croient que les entreprises agricoles et de biotechnologie font pression sur les agriculteurs pour qu'ils utilisent les cultures afin d'accroître les profits des compagnies - même au détriment de la sécurité. Le panel des femmes a déploré le fait que la presse ait mal interprété et fait tant de tapage autour de certains résultats de tests pour les OGM, surnommés ''Frankenfoods''.
''Nous n'avons qu'à nous en prendre à nous-mêmes'', a souligné Wambugu. ''Nous n'avons pas réussi à impliquer le public dans notre travail''. Wambugu a écrit un livre, ''Modifier l'Afrique : Comment la biotechnologie peut profiter aux pauvres et aux affamés''. Dans ce livre, elle fait remarquer que ''les gens rejettent souvent la nouvelle technologie au premier abord parce qu'ils ont peur de l'inconnu. Les membres de la tribu Maasaï, qui ont pris les armes lorsque leur chemin de fer est arrivé la première fois, achetaient quelques années plus tard leurs tickets et montaient à bord du train''.
Thomson est convaincue que ce doit être la population africaine, conseillée par des scientifiques africains, qui devrait décider de la production et de la consommation des aliments OGM dans leurs pays. Ceci valait mieux que de laisser des parties dans le monde développé décider de la question. ''Les scientifiques africains devraient jouer un rôle important dans le développement de leurs pays, et ne devraient pas permettre aux scientifiques occidentaux de fixer les programmes. Nous avons besoin de la connaissance et de l'expérience internationales c'est vrai, mais nous devons être conduits par des scientifiques locaux qui comprennent notre diversité culturelle'', a ajouté Omaliko. Selon Olembu, ''Plusieurs scientifiques africains sont impliqués dans l'agriculture, parce que c'est le moteur économique en Afrique. Bien sûr, il y a du pétrole au Nigeria, et des diamants au Botswana, mais la croissance viendra d'une économie fortement soutenue par l'agriculture dans presque tous les endroits''. ''Mais, tout ceci requiert le soutien du gouvernement'', a ajouté Olembo. ''Vous récolterez que ce que vous avez semé. Ou comme nous le disons en Afrique, 'Vous ne pouvez traire une vache sans lui avoir donné de l'herbe','', a-t-elle indiqué. Les scientifiques, dont le travail est souvent financé par des subventions gouvernementales, ont dit que les chercheurs devaient faire pression pour obtenir des réformes du gouvernement afin de garantir une classe dirigeante plus efficace et honnête à travers le continent. ''Le gouvernement doit être débarrassé de la corruption. Les scientifiques doivent joindre leurs voix à celles qui demandent un gouvernement propre'', a indiqué Wambugu. Une telle implication dans le monde, au-delà du laboratoire, serait quelque chose de nouveau, et devrait être liée à de plus grands efforts pour s'assurer que les progrès scientifiques provenant d'Afrique rapportent des avantages aux pays concernés.
''Les scientifiques ne sont pas des commerciaux. Ils n'ont aucune aptitude en marketing'', a fait remarquer Wambugu.
Omaliko l'a admis, en souriant : ''Aujourd'hui, c'est beaucoup plus que de regarder juste des molécules, n'est-ce pas?''