LE JOURNAL DU PAYS BASQUE -EUSKAL HERRIKO KAZETA-

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Jean-Pierre Berlan, directeur de recherche à l'Inra

était à St-Jean-Pied-de-Port, invité par BLE
par Maritxu Lopepe

Mercredi 8 Octobre 2003

 

"On confie l'avenir de la planéte à ses pires ennemis, les firmes agro-toxiques"

Jean-Pierre Berlan est directeur de recherche à l'INRA. Il étudie notamment les mutations de l'agriculture et en particulier l'importance du facteur génétique et de la sélection. Il était au lycée Frantsesenia de Saint-Jean-Pied-de-Port hier, invité par Biharko Lurraren Elkartea (BLE), pour un débat sur le théme "Organismes Génétiquement Modifiés : un piége pour qui et pourquoi ? L'autonomie des semences, comment ?". Le chercheur ne m,che pas ses mots. Pour lui les OGM ne servent à rien. Loin d'être "une porte que l'on ouvre vers l'avenir, ils sont plutôt la fermeture d'un mouvement biséculaire d'industrialisation de l'agriculture et de la privatisation du vivant".

Les OGM sont-ils dangereux ?
D'abord, c'est une absurdité de parler d'organismes génétiquement modifiés quand tous les organismes sont constamment génétiquement modifiés, dés qu'il y a reproduction sexuée. Ce terme a volontairement été choisis par les industriels et les scientifiques pour dire qu'ils ne font que ce que l'humanité a toujours fait depuis les débuts de la domestication des plantes et des animaux, par des méthodes plus précises, plus scientifiques. C'est un mensonge absolue.

Comment faut-il donc appeler ces organismes ?
Le résultat de ces manipulations ont d'abord été appelés chiméres génétiques. Le terme de chiméres se référent à des assemblages de morceaux d'organismes vivants (bactéries, virus, génes humains et végétaux) qui n'ont rien de commun les uns avec les autres. Mais les chiméres sont invendables, personne ne veut en manger. Ils ont donc choisi ce terme pour anesthésier à la fois l'opinion publique et eux mêmes se leurrer sur ce qu'ils font.

Ces chiméres présente-elles des risques ?
Elles sont révolutionnaires car on s'attaque directement au génome sans passer par le filtre de la reproduction sexuée. C'est un domaine où il est extrêmement difficile de juger du danger. Personnellement, je pense qu'il y en a un. Parce que ce sont des méthodes radicalement nouvelles, les techniques de la transgénése ont des décennies d'avance sur les connaissances scientifiques. C'est la science qui s'attaque à l'inconnu.

Certains scientifiques n'hésitent pas à dire que les OGM ne sont pas dangereux, qu'il y a surtout du battage médiatique.
Ils n'en savent rien. Ces plantes sont extrêmement instables. En plus, il y a des réarrangements à l'intérieur du génome qui sont absolument inconnus. La plupart des scientifiques sont sous contrat avec des firmes multinationales. Ils ne sont donc pas dans cette posture de neutralité qui permet de juger. Ils sont juges et partie à la fois. Il est impossible d'arriver à une certitude en matiére scientifique sur les effets possibles ou probables des OGM. Il faudrait appliquer le principe de précaution.

A quoi servent ces chiméres ?
C'est la vraie question. La réponse est qu'elles sont brevetées. Pour la premiére fois, le vivant fait l'objet d'une propriété. C'est ça l'enjeu essentiel. C'est la conclusion de deux siécles de lutte pour la privatisation du vivant. Il s'agit de réussir à interdire aux plantes et aux animaux de se reproduire dans le champ du paysan car cela ferait une concurrence déloyable aux semenciers.

N'y a-t-il pas quand même un intérêt médical ou agronomique à ces recherche ?
Personnellement je ne le pense pas. Pour qu'il y ait un intérêt sur le plan agricole, il faudrait que les sources de variabilité génétique dont on dispose à l'état naturel pour faire de la sélection soient épuisées. C'est ridicule. Le probléme numéro un en agriculture, tant en qualité qu'en quantité, est lié à la destruction des sols par les techniques de l'agriculture industrielle.

Un géne qui permet d'apporter moins d'engrais est une utopie ?
C'est du rêve en effet. De toute façon, on sait déjà associer graminées et légumineuses pour que ces derniéres assurent une fourniture d'engrais gratuite, sans aller fourrer un géne qui permette la fixation d'azote par la plante. En fait, on a toujours le modéle de la monoculture industrielle en tête alors que les progrés formidables des méthodes agro-biologiques, par des associations de plantes, permettent de gérer des écosystémes sans être ennuyé par les prédateurs ou les ravageurs.

Il faut donc modifier les esprits avant de modifier les plantes ?
Il faudrait surtout réfléchir, qu'il y ait un brin de jugeotte parmi les chercheurs de la recherche agronomique. Celle-ci ne fait plus d'agronomie, c'est scandaleux. Un organisme comme l'INRA a couvert des aberrations comme la séparation de l'agriculture et de l'élevage. Cela a entraÎné que les déjections animales, qui sont la condition de la survie des sols et de la vie sur cette planéte, sont devenus des polluants nuisibles en Bretagne. C'est fou.

Vous vous en prenez à votre propre organisme ?
Evidemment, quand cette organisme est en train de dériver de façon sotte comme il le fait depuis 20 ans en particulier, il faut commencer à critiquer ce qu'il se passe. Cela fait 20 ans que l'on met de l'argent dans ces histoires de transgénése, il n'en est rien sorti. Rien. On sait aujourd'hui que toutes ces techniques reposent sur du vide scientifique. Actuellement, les travaux de recherche fondamentale ne sont pas faits. On fait du bricolage, au lieu de faire de la recheche.

Peut-on quand même être optimiste vis-à-vis de l'avenir ?
Je suis encouragé quand je vois qu'il y a une trés forte demande au niveau des produits bios par exemple. Il y a des agriculteurs qui essaient depuis longtemps de perfectionner des techniques intelligentes qui permettent une agriculture durable. Il va falloir se rendre compte que l'on va droit dans le mur. Avec le brevet du vivant, on confie l'avenir de la planéte à ses pires ennemis, les fabriquants d'agro-toxiques. Il faut être fou pour faire cela. Les OGM ne servent à rien si ce n'est à donner le contrôle de la chaÎne agricole et alimentaire à un cartel de cinq firmes agro-toxiques.
Propos recueillis par Maritxu LOPEPE

Un chiffre significatif
"L'université américaine Cornel s'est posée la question en 1984 de savoir si la production alimentaire de l'humanité de l'époque était faite sur le modéle américain (c'est-à-dire le nôtre), combien de temps dureraient les réserves de pétrole. La réponse est que ces réserves seraient épuisées depuis neuf ans, depuis 1996. Sans qu'une goutte n'aille au transport, ni au chauffage. On est dans un systéme agricole qui brûle entre huit et dix calories fossiles pour avoir une calorie alimentaire alors qu'en principe, en agriculture, on est chargé de capter l'énergie du soleil donc on doit avoir un bilan énérgétique positif. Cela ne tient pas la route une seule seconde. La question centrale n'est pas celle des OGM mais du modéle industriel agricole et de la privatisation du vivant. Les OGM ne sont que la poursuite de ce modéle. Or nous savons qu'il conduit à la catastrophe."

Un modéle agricole stupide
"N'importe quel esprit à peu prés sain d'agronome sait qu'entre ce qui se passe à l'échelle moléculaire et la plante dans son milieu, il n'y a pratiquement aucun rapport. Il faut faire de l'agro-écologie. On est en train de prendre un retard considérable avec de nombreux pays. Au sud du Brésil par exemple, ils ont 25 ans d'avance sur nous. Ils en sont à des systémes de cultures intelligentes sans labour, qui respectent la vie des sols. En France, vous les voyez labourer comme des ,nes, en train de détruire leurs sols à force de faire maïs sur maïs. Ils ont des tracteurs de plus en plus gros car leurs sols sont tassés, n'ont plus de vers de terre, les meilleurs indicateurs de la santé d'un sol. Ces méthodes épuisent aussi les réserves d'eau en anéantissant les capacités de rétention des sols. Et on vient dire aprés qu'il faut irriguer. On est dans un modéle agricole qui est stupide."