Jean-Pierre Berlan est directeur de recherche à l'INRA. Il étudie notamment les mutations de l'agriculture et en particulier l'importance du facteur génétique et de la sélection. Il était au lycée Frantsesenia de Saint-Jean-Pied-de-Port hier, invité par Biharko Lurraren Elkartea (BLE), pour un débat sur le théme "Organismes Génétiquement Modifiés : un piége pour qui et pourquoi ? L'autonomie des semences, comment ?". Le chercheur ne m,che pas ses mots. Pour lui les OGM ne servent à rien. Loin d'être "une porte que l'on ouvre vers l'avenir, ils sont plutôt la fermeture d'un mouvement biséculaire d'industrialisation de l'agriculture et de la privatisation du vivant".
Les OGM sont-ils dangereux
?
D'abord, c'est une absurdité
de parler d'organismes génétiquement modifiés
quand tous les organismes sont constamment génétiquement
modifiés, dés qu'il y a reproduction sexuée.
Ce terme a volontairement été choisis par les industriels
et les scientifiques pour dire qu'ils ne font que ce que l'humanité
a toujours fait depuis les débuts de la domestication des
plantes et des animaux, par des méthodes plus précises,
plus scientifiques. C'est un mensonge absolue.
Comment faut-il donc appeler
ces organismes ?
Le résultat de
ces manipulations ont d'abord été appelés
chiméres génétiques. Le terme de chiméres
se référent à des assemblages de morceaux
d'organismes vivants (bactéries, virus, génes humains
et végétaux) qui n'ont rien de commun les uns avec
les autres. Mais les chiméres sont invendables, personne
ne veut en manger. Ils ont donc choisi ce terme pour anesthésier
à la fois l'opinion publique et eux mêmes se leurrer
sur ce qu'ils font.
Ces chiméres présente-elles
des risques ?
Elles sont révolutionnaires
car on s'attaque directement au génome sans passer par
le filtre de la reproduction sexuée. C'est un domaine où
il est extrêmement difficile de juger du danger. Personnellement,
je pense qu'il y en a un. Parce que ce sont des méthodes
radicalement nouvelles, les techniques de la transgénése
ont des décennies d'avance sur les connaissances scientifiques.
C'est la science qui s'attaque à l'inconnu.
Certains scientifiques n'hésitent
pas à dire que les OGM ne sont pas dangereux, qu'il y a
surtout du battage médiatique.
Ils n'en savent rien.
Ces plantes sont extrêmement instables. En plus, il y a
des réarrangements à l'intérieur du génome
qui sont absolument inconnus. La plupart des scientifiques sont
sous contrat avec des firmes multinationales. Ils ne sont donc
pas dans cette posture de neutralité qui permet de juger.
Ils sont juges et partie à la fois. Il est impossible d'arriver
à une certitude en matiére scientifique sur les
effets possibles ou probables des OGM. Il faudrait appliquer le
principe de précaution.
A quoi servent ces chiméres
?
C'est la vraie question.
La réponse est qu'elles sont brevetées. Pour la
premiére fois, le vivant fait l'objet d'une propriété.
C'est ça l'enjeu essentiel. C'est la conclusion de deux
siécles de lutte pour la privatisation du vivant. Il s'agit
de réussir à interdire aux plantes et aux animaux
de se reproduire dans le champ du paysan car cela ferait une concurrence
déloyable aux semenciers.
N'y a-t-il pas quand même un intérêt
médical ou agronomique à ces recherche ?
Personnellement je ne le pense pas. Pour qu'il y ait un intérêt
sur le plan agricole, il faudrait que les sources de variabilité
génétique dont on dispose à l'état
naturel pour faire de la sélection soient épuisées.
C'est ridicule. Le probléme numéro un en agriculture,
tant en qualité qu'en quantité, est lié à
la destruction des sols par les techniques de l'agriculture industrielle.
Un géne qui permet
d'apporter moins d'engrais est une utopie ?
C'est du rêve en
effet. De toute façon, on sait déjà associer
graminées et légumineuses pour que ces derniéres
assurent une fourniture d'engrais gratuite, sans aller fourrer
un géne qui permette la fixation d'azote par la plante.
En fait, on a toujours le modéle de la monoculture industrielle
en tête alors que les progrés formidables des méthodes
agro-biologiques, par des associations de plantes, permettent
de gérer des écosystémes sans être
ennuyé par les prédateurs ou les ravageurs.
Il faut donc modifier les
esprits avant de modifier les plantes ?
Il faudrait surtout réfléchir,
qu'il y ait un brin de jugeotte parmi les chercheurs de la recherche
agronomique. Celle-ci ne fait plus d'agronomie, c'est scandaleux.
Un organisme comme l'INRA a couvert des aberrations comme la séparation
de l'agriculture et de l'élevage. Cela a entraÎné
que les déjections animales, qui sont la condition de la
survie des sols et de la vie sur cette planéte, sont devenus
des polluants nuisibles en Bretagne. C'est fou.
Vous vous en prenez à
votre propre organisme ?
Evidemment, quand cette
organisme est en train de dériver de façon sotte
comme il le fait depuis 20 ans en particulier, il faut commencer
à critiquer ce qu'il se passe. Cela fait 20 ans que l'on
met de l'argent dans ces histoires de transgénése,
il n'en est rien sorti. Rien. On sait aujourd'hui que toutes ces
techniques reposent sur du vide scientifique. Actuellement, les
travaux de recherche fondamentale ne sont pas faits. On fait du
bricolage, au lieu de faire de la recheche.
Peut-on quand même être
optimiste vis-à-vis de l'avenir ?
Je suis encouragé
quand je vois qu'il y a une trés forte demande au niveau
des produits bios par exemple. Il y a des agriculteurs qui essaient
depuis longtemps de perfectionner des techniques intelligentes
qui permettent une agriculture durable. Il va falloir se rendre
compte que l'on va droit dans le mur. Avec le brevet du vivant,
on confie l'avenir de la planéte à ses pires ennemis,
les fabriquants d'agro-toxiques. Il faut être fou pour faire
cela. Les OGM ne servent à rien si ce n'est à donner
le contrôle de la chaÎne agricole et alimentaire à
un cartel de cinq firmes agro-toxiques.
Propos recueillis par Maritxu LOPEPE
Un chiffre significatif
"L'université
américaine Cornel s'est posée la question en 1984
de savoir si la production alimentaire de l'humanité de
l'époque était faite sur le modéle américain
(c'est-à-dire le nôtre), combien de temps dureraient
les réserves de pétrole. La réponse est que
ces réserves seraient épuisées depuis neuf
ans, depuis 1996. Sans qu'une goutte n'aille au transport, ni
au chauffage. On est dans un systéme agricole qui brûle
entre huit et dix calories fossiles pour avoir une calorie alimentaire
alors qu'en principe, en agriculture, on est chargé de
capter l'énergie du soleil donc on doit avoir un bilan
énérgétique positif. Cela ne tient pas la
route une seule seconde. La question centrale n'est pas celle
des OGM mais du modéle industriel agricole et de la privatisation
du vivant. Les OGM ne sont que la poursuite de ce modéle.
Or nous savons qu'il conduit à la catastrophe."
Un modéle agricole
stupide
"N'importe quel
esprit à peu prés sain d'agronome sait qu'entre
ce qui se passe à l'échelle moléculaire et
la plante dans son milieu, il n'y a pratiquement aucun rapport.
Il faut faire de l'agro-écologie. On est en train de prendre
un retard considérable avec de nombreux pays. Au sud du
Brésil par exemple, ils ont 25 ans d'avance sur nous. Ils
en sont à des systémes de cultures intelligentes
sans labour, qui respectent la vie des sols. En France, vous les
voyez labourer comme des ,nes, en train de détruire leurs
sols à force de faire maïs sur maïs. Ils ont
des tracteurs de plus en plus gros car leurs sols sont tassés,
n'ont plus de vers de terre, les meilleurs indicateurs de la santé
d'un sol. Ces méthodes épuisent aussi les réserves
d'eau en anéantissant les capacités de rétention
des sols. Et on vient dire aprés qu'il faut irriguer. On
est dans un modéle agricole qui est stupide."